Ligne
 Dimanche 16 Septembre 1945

Fête de la Victoire  (Cortège)

 





 
     Grâce à une famille illustre, le nom de Ligne passe et repasse dans l'histoire. De ce passé dont ses enfants sont fiers, Ligne conserve une distinction traditionnelle qui se manifeste chaque fois que surgit un effort collectif. les habitants sont nés frondeurs, narquois et d'un esprit piquant. Mais quand leur honneur est en jeu, ils veulent faire mieux qu'ailleurs. Et ils le prouvent. Leur cortège du 16 dernier fut un petit chef-d'œuvre d'originalité et de facture. Leur goût sûr les a préservés du burlesque et de la vulgarité trop exploités en ces moments de liesse populaire. On ne voit pas mieux dans les grande cités.
     Les rites officiels eurent lieu le matin, les autorités communales et les groupements civiques ont fleuri le monument aux morts, puis ont entendu un "Te Deum" suivi d'une éloquente allocution de M. Le curé E. Mahieu, qui fit un éloge émouvant du civisme de notre population pendant l'occupation néfaste, de son esprit d'entr'aide et de son ardent patriotisme. Un cortège imposant se rendit au cimetière pour la bénédiction, des monuments funéraires de Jules Mulliez et André Pardonce, deux victimes innocentes du sadisme allemand. Des gerbes furent déposées et des discours furent prononcés par M. R. Deghouy, camarade d'enfance des deux martyrs, et par le bourgmestre.
     A 15h, le cortège officiel, formé à la grand'route, se mit en marche malgré une légère pluie, qui n'a pas persisté. Il comprenait deux groupes placé sous le signe de la célèbre Maison de Ligne, dont le château-fort, à quelques pas de là, dans un coude de la Dendre fut brûlé par Louis XI, un jour de victoire française. Le prince et la princesse, à cheval, avec une escorte somptueuse, marchent devant le char, très réussi du château. Puis, comme il convient, c'est l'immense char de la Belgique, tout de lierre et de houx habillé, simple et grand avec ses belles déesses figurant la nation, nos couleurs et nos neuf provinces avec leurs métiers bien groupés. Suit la synthèses très bien conçue, de notre colonie, avec ses nègres, ses colons blancs et ses missionnaires, du plus heureux effet; un beau Léopold II, à cheval avec sa grande barbe, un peu trop jeune pour nous. Alors ce sont les groupes des Alliés. La Chine avec sa tour originale, son jardin et son lac  minuscule. Ensemble très distingué où l'on sent une main féminine, voici la Russie, avec sa belle isba dans des sites boréaux  heureusement brossés, ses paysans et paysannes réunis autour d'un samovar, ses rouges cosaques imposants, son traîneau blanc et ses fourrures. Un des meilleurs sujets fort bien conçu et traduit avec art. Vient le char imposant de la France, figurée par la Semeuse et son bonnet phrygien, ses vieilles provinces avec leurs costumes bretons, alsaciens, provençaux et leurs danses régionales. Ils y a encore l'Angleterre avec ses cavaliers casqués, son magnifique navire de guerre, son char de l'Ecosse et ses joueurs de cornemuse en costume écossais. Il y a l'Amérique avec sa forteresse volante accompagnée d'aviateurs et de parachutistes. Suis encore la Croix-Rouge, son chien de guerre, ses blessés, ses blanches infirmières. Un gracieux petit groupe recueille un gros succès; c'est celui du mariage international avec sa noce minuscule de marmots dont l'aîné à cinq ans. La mariée à ses fleurs d'oranger et le petit maïeur salue de sa "buse" avec désinvolture. Voici le charmant char de la victoire avec tout un essaim de jolies filles aux robes blanches. c'est la jeunesse exubérante qui chante éperdument le triomphe du Droit. Enfin, ce sont nos prisonniers, nos déportés follement acclamés. Ils ont l'ai d'avoir oublié leurs souffrances, pompent avec entrain et chantent avec ardeur leur retour triomphal sur l'hymne de Grétry "Où peut-on être mieux, qu'au sein de sa famille"! Le conseil communal, en voiture, clôture ce cortège magnifique et parfait bien ordonné, qu'applaudit frénétiquement un public enthousiaste, dans les rues pavoisées, décorés avec un goût discret  par les habitant de cette commune ardente qui renaît à la vie et retrouve son exubérance native trop longtemps contenue.
     La concentration finale connut une heure pathétique où tous les cœurs battaient à l'unisson au sein d'une liberté si chèrement reconquise. Devant le prince et la princesse de Ligne, descendus de cheval, tous les groups défilèrent et vinrent se ranger autour du monument aux morts avec leurs étendards et leurs bannières dans un ensemble impressionnant. les fraîches voix des enfants montèrent soudain vers le ciel bleu, auxquelles répondirent des sonneries évoquant les suprêmes appels des mourants sur les champs de bataille. Minute émouvante où les yeux se mouillèrent; minute consolante où les douleurs passées se mêlaient aux espoirs légitimes vers un meilleur avenir.
     Mais, ceci n'était pas au programme: Voici que soudain, au sein de ce recueillement universel, la vieille cloche qui porte encore en caractères gothiques les nom de la famille de Ligne, cette cloche vénérable qui au cours des temps lointains, sonna le tocsin de tant de guerres, le triomphe de tant de gloires, laissa tomber sept coups, de sa voix chevrotante, sept coups qui, lentement trouèrent le silence immense où la pensée des vivants rejoignait celle de ceux qui ne sont plus. L'ombre des vieux princes dut frôler ces têtes inclinées et, tout bas, leur murmurer notre fière devise qui, sans tache a traversé les siècles, vous retrouve fidèles  " Tout partout tombe; toujours Ligne reste debout et droit".
     La "Brabançonne" retentit, plus grave qu'autrefois et la foule s'écoula, impressionnée et grave, quand même.

Florimond Bruneau (1945).
 


    Ci-dessous, quelques photos de ce cortège, en date du 16 Septembre 1945.

 

       
       
       
       
       
       
   
    

 

 

 

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